Vierge de Paka-Djuma : un chant poétique de Negue Fly Nsau au cœur des ruines

Dans un bidonville où la poussière étouffe les rêves et où les dieux eux-mêmes semblent s’être tus, une voix s’élève. Celle de Vincent, poète déchu, frère aimant, survivant digne. Une voix que l’auteur Negue Fly Nsau nous offre aujourd’hui dans Vierge de Paka-Djuma, un livre puissant, lyrique, brutalement humain.
Un récit à la croisée de l’intime et du social
Dans les ruelles labyrinthiques de Paka-Djuma, territoire imaginaire à mi-chemin entre le réel et le mythe, Negue Fly Nsau plante le décor d’un monde abîmé mais vivant. Là où les existences s’effilochent entre tôle rouillée, transe mystique et bière amère, l’auteur fait surgir une poésie vibrante, aussi incantatoire que lucide.
Le héros, Vincent, est un homme de cinquante ans, diplômé oublié, poète des marges, frère d’une Ella partie vivre en Occident. Il vit dans une cabane bancale, entouré d’échos de prières, de bouteilles vides, et de souvenirs qui suintent des murs. Mais il écrit. Il résiste. Il transforme sa douleur en vers, ses silences en cris d’encre.

La grande force de Vierge de Paka-Djuma réside dans sa langue : une prose poétique charriant des accents sacrés, populaires, charnels, politiques. Ici, le Kikongo s’invite dans le texte avec puissance, les mots prient, dansent, dénoncent et cajolent. Ce n’est pas seulement une narration : c’est une transe écrite, un souffle mystique qui traverse chaque page.
Negue Fly Nsau ne raconte pas simplement une histoire. Il interroge notre humanité, nos indifférences, nos rapports à la mémoire, à l’exil, à la fraternité, à Dieu, à la folie, à la poésie. Vierge de Paka-Djuma est un miroir que l’on n’a pas envie de regarder trop longtemps… et pourtant, on y revient. Parce qu’on y voit la beauté dans la déchéance, la lumière dans l’effondrement.
Pourquoi il faut lire Vierge de Paka-Djuma ?
- Parce que la poésie y est vivante, organique, viscérale.
- Parce qu’il donne voix aux oubliés avec une dignité bouleversante.
- Parce qu’il dépeint l’Afrique urbaine loin des clichés et loin des fictions occidentales.
- Parce qu’il offre un espace de réflexion sur l’amour, l’exil, la foi et la survie.
- Parce qu’il faut lire ceux qui osent écrire debout dans la boue.
Le bidonville de Paka-Djuma n’est pas un arrière-plan, c’est le corps même du poème. Ses “ruelles étroites, serpentant comme des veines”, ses maisons de tôle, sont la scène d’une “vie tue-tête”. L’atmosphère est chargée d’une “mélodie douce-amère”, où les rires d’enfants côtoient les “pleurs étouffés”. C’est un lieu où le noir qui éclaire nos cités est souvent compensé par des nuits blanches, où la galère est trempée dans une bonne roteuse. L’auteur dépeint une société cadavre embastillée dans les ténèbres, un enfer où on avale du feu afin d’apaiser la faim, une usine à fabriquer les morts.

Au cœur de cette réalité crue, le personnage de Vincent incarne la poésie du désespoir. Dans les méandres du vieux bar Mputu Ville, au son du Ndombolo, se consomment Turbo, Café Rum, Vin d’amour, des breuvages qui promettent un semblant de liberté dans un monde où le développement est handicapé, cloué dans une chaise roulante sans roues.
La bière est omniprésente, et est plus qu’une boisson ; elle est la confidente, la muse et l’antidote. “La bière chante sa mélodie”, et le poète s’y abandonne. Elle “berce l’ivresse”, offrant des “visions d’éclairs et de passion”. Pourtant, cette quête d’oubli est un équilibre fragile. Le vertige est constant, l’addiction une ombre menaçante. Les “fesses des danseuses” des bordels cachés, symboles de plaisirs éphémères, sont autant d’oasis illusoires dans un désert d’âme. La cuite devient un voyage, une exploration des nouvelles contrées de l’esprit, même si elles mènent aux baisers toxiques et à la question obsédante : pour combien de temps encore ?
Malgré la descente aux enfers, une lueur persévère. Le poème, loin de sombrer dans le nihilisme, est traversé par une foi tenace. L’idée d’un bienfaiteur inconnu, d’une porte qui s’entrouvre vers la rédemption pour Vincent, transfigure la chute attendue en un rebond inattendu. Vierge de Paka-Djuma est une œuvre qui respire, qui palpite. Elle est le témoignage brut d’une humanité qui, même au bord de l’abîme, continue de chercher la beauté, de créer le verbe, et d’embrasser l’espoir, tel un poème vivant gravé dans l’air.
À propos de l’auteur
Negue Fly Nsau est une voix montante de la littérature contemporaine africaine. À la croisée de la poésie, du théâtre et de la performance, il développe une œuvre singulière, enracinée dans les terres chaotiques de l’Afrique centrale, et tendue vers l’universel. Negue Fly Nsau écrit comme on frappe un tambour : avec rythme, rage et amour.
Sam ZOLA